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La crise du secteur laitier, un cas d’école, nos agriculteurs veulent vivre de leur métier.

 

 

Le secteur laitier est aujourd’hui le seul marché où la situation de crise entre les différents acteurs a débouché sur un conflit ouvert. Il oppose depuis plusieurs mois les industriels et producteurs français sur le prix du lait, les premiers voulant baisser les tarifs tandis que les seconds, qui mettent en avant la hausse de leurs charges, s’y opposent. Cette situation, qui fait suite à la décision en septembre de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de mettre un terme à la négociation collective des prix du lait au niveau interprofessionnel – au motif qu’elle était anticoncurrentielle – s’est traduite par une forte mobilisation des éleveurs pour faire entendre leurs revendications. Depuis, les grèves du lait, mouvements de blocage des laiteries et actions de déréférencements dans les centres de distribution se succèdent et le conflit, loin de trouver sa solution, s’envenime.Le cas du lait est, à plus d’un titre, emblématique de la situation de crise qui caractérise le monde agricole. En premier lieu parce que, à l’instar des autres secteurs agricoles, les producteurs laitiers sont confrontés à l’instabilité structurelle des marchés, qui les plonge dans l’incertitude. En second lieu parce que, face à cette situation, les politiques de dérégulation menées par les pouvoirs publics ont été ou seront particulièrement déstabilisatrices : en effet, aussi bien à l’échelle européenne qu’au niveau national, la réaction des pouvoirs publics s’est avérée conduire à l’inverse de qu’il convenait de faire.

 

 

 

C’est pourquoi la filière laitière représente aujourd’hui un cas d’école, qui préfigure ce qui risque de se passer dans l’ensemble de l’agriculture si le mouvement général de dérégulation se confirme.




De difficultés conjoncturelles à une crise structurelle

Si la filière du lait s’est toujours caractérisée par une relative instabilité, la crise qu’elle connait actuellement marque une véritable rupture par rapport aux situations précédentes. Cette rupture est la résultante d’une conjonction de facteurs, qui tous, à leur niveau, nourrissent un climat d’incertitude particulièrement déstabilisateur. Deux facteurs d’instabilité doivent ainsi être distingués pour expliquer la crise observée dans le lait.

Des prix volatils

Les marchés laitiers, à l’instar des autres marchés agricoles, se caractérisent par une forte volatilité structurelle des prix. Tandis que les prix ont augmenté de 30% entre mai 2007 et mai 2008, ils se sont très récemment orientés à la baisse. Ce retournement a, en grande partie, été provoqué par les excédents de production que la flambée des prix a encouragés. Aujourd’hui en effet, les stocks de poudre de lait et de beurre, qui sont les deux formes sous laquelle la conservation du lait est possible, sont au plus haut ; à telle enseigne que la Commission européenne, dont on connait la volonté de tendre vers le « zéro stock », a très récemment autorisé l’intervention publique sur le beurre.

A cette chute des prix s’ajoute une hausse des charges (près de 20% sur les 12 derniers mois) qui, augmentant considérablement les coûts de production du lait, n’est pas prise en charge par l’industrie laitière. De fait, les baisses de prix enregistrées par les producteurs vont de -9% à -17% pour le mois d’octobre, selon la FRSEA1 Ouest (soit -30€ à -60€ les 1000 litres), ce qui fait qu’aujourd’hui, les producteurs de lait travaillent à perte : alors que les coûts de production s’établissent en moyenne à 0.334€/litre, le prix payé par les industriels rémunère les producteurs à hauteur de 0,308€. Il faut ajouter par ailleurs que ces mêmes industriels sont de leur côté soumis à la pression des distributeurs et qu’ils se trouvent, de ce fait, pris entre le marteau et l’enclume.

Une action publique inadaptée

Cette situation est aggravée par la décision récente des pouvoirs publics qui, en rejetant la formule de calcul de fixation des prix par négociation interne à la filière qui prévalait jusqu’alors, ont supprimé le mécanisme qui permettait de donner satisfaction à tous les acteurs, sans le remplacer par quelque chose qui convienne. Si bien qu’aujourd’hui, chaque partie fait valoir ses propres revendications sans que l’équilibre ne puisse être trouvé.
C’est pourquoi, pris dans un effet de ciseau et sans le recours d’un mode de négociation qui a bien fonctionné jusqu’à maintenant, les producteurs laitiers voient leur rentabilité et la pérennité même de leur activité remise en cause. Dans ce contexte de rétrécissement drastique des marges, il est dès lors à craindre que bon nombre d’exploitations disparaissent, ce qui, outre le fait que cela affecterait le dynamisme économique du tissu rural, menacerait à terme les capacités de production d’un pays, et donc sa sécurité alimentaire.

Mais à cette première dérégulation d’origine nationale il faut ajouter une autre, d’origine européenne, qui va compliquer encore les choses. Il s’agit des récentes décisions du Conseil européen suite au bilan de santé de la PAC qui mènent la filière laitière vers une libéralisation totale à terme : suppression des quotas à horizon 2015, et des dispositifs d’intervention publique, qui garantissaient un certain niveau de production et une certaine stabilité au marché.

Analyse des conséquences cumulées d’une politique de dérégulation inadaptée

Développons maintenant, en quelques lignes, comment en voulant appliquer des principes généraux on en vient à déstabiliser des marchés déjà assez chaotiques.

Au niveau national, en premier lieu, par la suppression du mécanisme de négociation interprofessionnel des prix. Jusqu’alors, les prix étaient le fruit d’une négociation collective qui permettait d’amortir la volatilité excessive des prix mondiaux. Or, sous prétexte que ce mécanisme constituait une entente portant préjudice au consommateur final, la DGCCRF a enjoint l’organisme chargé de la formation des prix, le CNIEL (Centre national interprofessionnel de l’économie laitière) à mettre un terme à l’émission de recommandations nationales d’évolution, à la hausse comme à la baisse, du prix du lait. Ainsi, en supprimant sans en mesurer les conséquences ce qui n’était qu’un mode de régulation propre à la filière, les pouvoirs publics ont durablement déstabilisé cette dernière.
Au surplus, il est faux de penser que le mécanisme de négociation des prix constituait une atteinte à la concurrence : le CNIEL n’était qu’une plateforme de négociation dont l’objet était de faciliter un point de rencontre entre l’offre (les producteurs) et la demande (les industriels). Les prix indicatifs qui en résultaient permettaient alors aux producteurs de bénéficier d’un indicateur clair et fixe qui servait de référence pour l’année à venir. Ce prix de référence, qui était le résultat d’une confrontation entre l’offre et la demande au même titre que ce qui se passe sur les marchés, était par ailleurs loin de tirer les prix à la hausse, et de pénaliser le consommateur final. Une simple comparaison avec les pays voisins suffit à s’en assurer : en Allemagne et en Espagne, les deux autres grands producteurs de lait européens, qui ne disposent pas d’un tel système de prix négociés, les prix constatés sur l’année 2007 ont été en moyenne largement supérieurs à ceux observés en France (Espagne : 353€/1000l ; Allemagne : 326€/1000l ; France : 289€/1000l).

Au niveau européen, ensuite : l’accord ministériel du Bilan de santé de la PAC conduit à une dérégulation progressive de la filière laitière. Cet accord, qui correspond au souhait de la Commission européenne de rapprocher la filière du marché, prévoit le relèvement progressif des quotas qui, depuis 1984, limitent la production (+1% par an pendant 5 ans), en attendant leur disparition programmée en 2015. Or, les quotas restent à ce jour le seul mécanisme de régulation des marchés, tous les autres mécanismes ayant, en effet, été progressivement supprimés au cours des réformes successives de la PAC. Ce faisant, l’accord ministériel marque donc un pas décisif vers l’instauration d’un marché totalement dérégulé, ce qui laisse présager du pire : sans mécanismes d’intervention publique, il est en effet à craindre que la volatilité structurelle des prix ne mène à une situation particulièrement intenable pour les producteurs de lait, et menace la pérennité de la filière.

 



En conclusion, le secteur laitier apparait comme symptomatique des désordres qui agitent les marchés agricoles actuellement, et un cas d’école, dont il faut tirer les leçons. Car les politiques de dérégulation, telles qu’on les observe aujourd’hui – le bilan de santé de la PAC en est le meilleur exemple – sont une erreur stratégique majeure. Il est à craindre, dans ce contexte, que le schéma de crise observé dans le secteur laitier fasse des émules dans d’autres filières, sous des formes spécifiques à chacune. Et ce n’est pas un vain mot que de le signaler, dans la mesure où, d’ores et déjà, des signes de tensions se manifestent depuis plusieurs semaines dans d’autres professions, comme la filière de la viande ovine et bovine. C’est pour cela qu’il est urgent de maintenir des mécanismes de régulation qui soient adaptés aux spécificités de l’agriculture autant qu’aux exigences politiques. On pourrait par exemple songer à la création d’un organisme indépendant de fixation de prix qui fournisse à l’intention du marché du lait des prix de référence dans le cadre des transactions entre les producteurs et les industriels. C’est une des idées fortes de momagri, qui préconise la création d’une Agence de notation à l’échelle internationale, agence dont une des attributions serait, justement, la fixation de prix d’équilibre.

 

L’équipe éditoriale de momagri

 

1 Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles